Ils m’ont demandé si j’avais laissé ma mauvaise humeur à la maison. Ils l’ont dit en riant, bien installés à l’arrière de la voiture, en regardant leur papa, à l’origine de cette question et de ce coup d’état. J’ai souri et on a pris la route. Après quelques minutes, tout le monde avait compris que j’avais emmené ma mauvaise humeur avec moi. J’ai fini par arrêter d’ouvrir la bouche. Même moi je me fatiguais.
Et puis j’ai vu du bleu foncé à l’horizon. J’ai reconnu ces paysages qui m’enchantent à chaque fois et j’ai laissé ma mauvaise humeur dans la voiture. On a posé le pied au sol, on a marché dans le sable puis dans l’eau. On a passé la journée face à la mer, à courir, à observer l’eau tomber d’une cascade, à trier et à jouer avec des cailloux, à pique-niquer sur nos manteaux, et c’était bien.
On est reparti parce qu’il ne fallait pas rater l’heure du couvre feu. Et parce qu’on était fatigué aussi. On a retiré les bottes, les pantalons et les manteaux mouillés, mais on a gardé nos sourires. Ma mauvaise humeur n’était plus dans la voiture. Elle s’était envolée avec le vent de la mer.
J’habite à proximité d’une école. Parfois, quand j’entends les cris provenant de la cour, je me poste à la fenêtre et j’observe quelques instants.
Il y a ces enfants qui, malgré le masque, se chamaillent, courent, crient, rient, jouent comme avant.
Il y a ces maîtresses qui papotent, les mains enfoncées dans leur manteau.
Il y a cette petite fille qui se poste à la grille et hurle qu’elle veut sa maman. Elle secoue la grille, se retourne pour vérifier qu’on la regarde, puis repart en soufflant avec les autres quand elle constate qu’elle crie sans attirer l’attention.
Il y a ces mamans qui passent par là, et qui profitent de la récréation pour chercher des yeux, faire signe, envoyer un bisou, serrer une main à travers la grille.
Il y a ces parents qui arrivent bien avant l’heure de sortie de leur enfant et qui attendent assis sur le banc.
Il y a ces bandes d’enfants qui s’agrippent aux grilles et interpellent les passants.
Un jour, tout redeviendra normal. En attendant, il y a les cours d’école. Ce monde dans le monde, plein de vie, qui donne l’illusion que rien ou presque ne nous sépare du monde d’avant.
Ce que j’aime le plus lire dans une nouvelle ou un bouquin, ce sont les sentiments humains. Certains préféreront le suspense, l’humour, la peur, le tragique… moi c’est la magie d’une rencontre, la magie d’un regard échangé, la magie d’une main sur une autre. J’aime ce que ça provoque chez moi : un sourire, une accélération cardiaque, un souffle coupé.
De fait, c’est aussi ce que je préfère quand j’écris. Ce qui explique que mon premier roman portait sur une histoire d’amour. Et que le deuxième portera sur une histoire d’amitié (ET une histoire d’amour, faut pas déconner). Pourtant, j’ai eu du mal à assumer cette part de moi. Ce plaisir autour du sentiment. Tout simplement par peur. J’avais peur parce qu’il y a cette croyance d’un très grand nombre que le sentiment c’est gnangnan ou mielleux, alors que ça ne l’est pas nécessairement. J’avais peur qu’on me juge, qu’on juge mon livre, qu’on juge mon style, puis qu’on nous mette dans une case et qu’on doive ramer pour en sortir.
Pour preuve, quand on me demandait de pitcher en une phrase Reprendre son souffle, je répondais invariablement « c’est l’histoire d’un secret » au lieu d’assumer que la trame principale est une histoire d’amour. Pour autre preuve, j’ai eu du mal à assumer que certains passages de cette même histoire soient romantiques, alors même que j’ai adoré les écrire. Aujourd’hui, j’ai compris qu’il n’y avait aucune honte à chercher dans une lecture ce qui nous fait vibrer. Qu’il n’y a pas de honte non plus à aimer écrire ce qui nous touche. Et qu’il y a encore moins de honte à aimer les sentiments.
De choisir un roman populaire, avec beaucoup de dialogues, un sujet simple, sans prise de tête, qui va me faire rire ou me donner une bonne dose d’amour. Puis d’enchaîner avec un roman avec du corps, un sujet grave, des phrases bien tournées pour déclencher chez moi une réflexion voire une remise en question. En clair : alterner un roman où les pages se tournent vite avec un roman où on prend son temps pour les tourner.
Quand j’ai commencé « Les gens heureux lisent et boivent du café », je ne savais pas à quoi m’attendre. Une amie me l’avait recommandé, me disant de l’auteure qu’elle écrivait du Feel good. Et pourtant, ce roman là commence par un sujet grave : la mort d’un mari et d’un enfant (faites défiler les photos pour voir la très efficace 1ère page). Je venais de refermer un livre qui m’a bouleversée (j’en reparlerai) et je n’avais pas très envie de me remettre à pleurer. J’ai poursuivi ma lecture sans vraiment y croire. Pour finalement, ne plus le lâcher. La recette fonctionne : beaucoup de dialogues, des personnages attachants, de l’émotion, le frisson d’une rencontre, des rebondissements, une écriture simple mais efficace. J’ai avalé les pages comme on avale un bon gâteau : avec avidité ! Puis est arrivée la dernière page. Qui laisse presque un gout amer en bouche. Vite, je devais me procurer la suite ! « La vie est facile, ne t’inquiète pas » remplit son rôle. J’ai pris plaisir à retrouver les personnages et à me laisser porter par le style de l’auteure. Une suite efficace, qui permet de conclure l’histoire de ce deuil et de cette reconstruction sur une note pleine d’espoir.
Ces deux romans réussissent le pari de traiter d’un sujet grave, de nous faire vivre les montagnes russes des émotions et de nous laisser avec le sourire. Mon amie n’avait donc pas menti : Agnes Martin-Lugand, c’est du Feel good et ça fait du bien !
Depuis quelques mois, je prends le ciel en photo. Je ne faisais pas ça avant. Je prenais en photo ma famille, mes amis, des lieux de vacances. Des moments très concrets, comme pour ne pas oublier. Mais jamais des bouts d’un environnement, qui, pour moi, ne changeait pas vraiment. Et puis 2020 s’est pointé, avec toutes ses incertitudes et son lot de changements. L’urgence de vivre a été remplacée par la contrainte de ralentir le rythme. Comme beaucoup, je me suis mise à vivre des moments simples, à me découvrir des passions (coucou l’écriture, coucou le piano), à me recentrer sur ce qui compte vraiment… Et à lever le nez vers le ciel.
Quand je regarde cette photo, je ne peux pas m’empêcher d’y voir la représentation de 2021. Est-ce qu’il va faire beau ? Est-ce que le ciel va s’assombrir ? On ne sait pas d’où vient le vent. On ne sait rien. On est à nouveau dans l’incertitude. Mais rien ne nous empêche de voir le beau. De croire à l’éclaircie derrière le nuageux. Ni d’oeuvrer pour se fabriquer des moments radieux. Après tout, certains parviennent à danser sous la pluie, non ?
Alors en ce début d’année, en lieu et place des traditionnels voeux, je préfère vous souhaiter une année à l’image de cette photo : de percevoir le beau dans l’incertain.
*mots tirés de la newsletter envoyée en début de mois*
A l’âge de 12 ou 13 ans, j’ai demandé à avoir un synthétiseur. Le père de ma voisine en avait un, je jouais à l’occasion quand j’allais chez elle, et j’adorais ça. Alors j’ai insisté comme je savais le faire. Ma mère s’est débrouillée comme elle savait le faire. Et pour un Noël ou un anniversaire, je l’ai eu.
Je me souviens du sourire qui ne quittait pas mon visage. Le bonheur de le regarder, de le savoir là, dans ma chambre. D’entendre le son qu’il produisait en posant quelques doigts. Mais passés les premiers jours à m’amuser, j’ai déchanté. Parce que je ne savais pas en faire. A l’époque, à part si on était un petit prodige ou doté d’une grande détermination, il fallait apprendre avec quelqu’un, et on n’en avait pas les moyens. Alors j’ai cessé de l’utiliser. Ma mère m’en a voulu. Je m’en suis voulu d’avoir fait des pieds et des mains pour rien. Et il a été revendu.
Pourtant, pendant toutes ces années, je n’ai jamais quitté le rêve de savoir jouer du piano. C’était dans un coin de ma tête, un peu comme l’écriture. Sur ma liste des choses à faire avant de mourir, au même titre que le skateboard ou le voyage en bateau. Et puis, comme pour l’écriture, j’ai profité du premier confinement pour remettre cette idée au goût du jour. Le piano sur cette photo est à nouveau un cadeau. Un cadeau que j’ai demandé. Comme pour me pousser à me rattraper du premier cadeau gâché. Comme un pacte avec l’autre de ne pas décevoir à nouveau.
En vingt ans, tout a changé. Désormais, il y a YouTube et les milliers de tutos à portée de doigt. En regardant simplement des vidéos sur mon téléphone, j’ai appris seule à jouer ce morceau tiré du film La la land, que j’aime tant. C’est très imparfait mais finalement ça n’a pas tellement d’importance. Parce que ma détermination a changé, elle aussi. Elle a grandi avec les années, s’est nourrie de ma frustration et de mes échecs, s’est réveillée plus forte, plus vigoureuse. Plus enragée. Et parce que grâce à elle, grâce à ce cadeau fait à moi-même, j’ai fait la paix avec mon rêve d’enfant.